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Liserde au Mexique #10 - Telenovela

11h, arrivée à El Pozo.

Martinita remplace aujourd’hui Puri à l’accueil. Elle m’attrape par les yeux et me parle. Longtemps.


Je n’aime pas parler aux gens d’ici. Les nouvelles vont trop vite, c’est un petit village… Je ne suis pas d’ici, moi, (rire) oh non je ne suis pas d’ici ! Encore heureux ! Je suis du DF, je suis une fille de la ville, j’aime la ville d’ailleurs, j’ai besoin d’aller en ville. C’est pour ça que je suis plus ouverte, tu as remarqué comme je suis plus ouverte qu'eux ?

Grimace

Mon mari est d’ici… et toute ma belle famille. Ceux-là je les évite tant que je peux. Je suis obligée de leur parler tu comprends, pour les enfants, mais juste le nécessaire. Et puis les enfants sont grands maintenant. Oui, oui… c’est un petit village… un petit village, oui…

Elle me regarde étrangement

Je vais te raconter quelque chose… J’avais une amie dans le village, on se disait tout, et un jour elle vient me voir à la boutique. Moi j’avais confiance, tu vois, alors je lui raconte qu’il y a un garçon qui me plait, et je lui dit qui c’est. Bien sûr je lui dit de ne pas le répéter, tu vois ? Bien normal entre amies… Deux jour plus tard le garçon vient me voir…

Main devant la bouche, rire adolescent

La honte de ma vie ! La rumeur avait circulé jusqu’à lui ! A cause d’elle ! La honte de ma vie… Maintenant je n’ai plus confiance, maintenant je ne dis plus rien à personne ici. C’est fini… oui, oui, c’est fini…

Sourire très juvénile, et silence

Je l’aime beaucoup, en plus, ce garçon…

Elle trépigne

Beaucoup…

Ses yeux veulent que je lui demande qui c’est. Je lui demande. Elle saute sur la réponse et, sans presque un son, mais la bouche étonnamment élargie:

EL DELEGADO…

Petits regards alentours. Soudain chuchotant :

Mais tu ne dis rien, hein ? à personne, jure-moi que tu ne diras rien !

Je jure. Elle sourit, vibrante, frissonne.

J’ai peur… si tu savais comme j’ai peur… de tomber amoureuse. J’ai mon mari... je suis mariée! Et lui aussi… enfin il est presque divorcé, mais… j’aime tellement sa compagnie, il est beau, il est vraiment très beau… Je n’ai jamais fait ça ! Jamais… Je l’aime bien quand même… mais je suis émue, émue… et chaque fois qu’il passe à côté de la boutique je suis dans un de ces états! à chaque fois je me freine… j’aimerais pouvoir le toucher mais je ne peux pas ! Je ne peux pas ! C’est impossible !

Grand sourire

On nous tuerait tous les deux à coups de couteaux si ça se savait! ohlala! Rien que d’y penser… on nous tuerait, c’est sûr…

Temps

On n’a qu’une vie, n’est-ce pas ? Aaaah oui, qu’une seule vie… L’autre jour, tiens-toi bien, il m’a demandé comment ça se faisait que je sois pas encore enceinte… Ay ! Tu te rends compte, il m’a dit qu’il voulait un enfant de moi, mais c’est impossible, impossible ! Ohlala, rien que d’y penser…

Elle rit. Répond au talkie.

Tu sais ils font tous pareil ici, tous ! Evidemment, tous ces hommes seuls, sans famille ! Moi je ne veux pas tomber amoureuse…

Elle continue, répète. Pendant une heure. Vertige. Je sors de là dans un semi malaise. j'ai faim.


Et la scène du saloon arrive sans crier gare.

A peine entrée dans la cantine du village, le groupe d’ouvriers attablés se fige, s’arrête de parler, d’avaler, de respirer. Silence lourd. Je m'assois, très mal à l'aise. Sans un mot, un homme me sert un pied de porc baignant dans une sauce verte, je n’avais rien demandé. Ou peut-être que si… tout devient magique. Je mange, docile, affamée. L'ambiance se détend. Je discute avec mon voisin dont j'apprendrai le lendemain qu'il est soupçonné d'avoir violé et poignardé une fille du village voisin.


Entre soap opéra et western, cette journée prend une tournure totalement absurde.

Piscine. Il fait une chaleur étouffante. Je vais attendre une combi.

Qui est cette foule étrange qui se presse autour de l’eau? On me répond qu’il y a un baptême évangélique entre les toboggans bicolores et les touristes qui bronzent. C’est fini. Plus rien ne m’étonne. On m’aurait dit qu’il y avait, en plus, un concours de pétanque dans le canyon que je n’aurais pas cillé.


José, le sous-délégué, s'approche dans son pick-up. Il m’offre des fruits, refuse que je prenne une combi et me ramène à Ixmiquilpan, chez Lupita. Sur la route, il veut que je lui raconte ma vie, parce que c’est son anniversaire. Il me montre un cœur gravé dans la montagne. La totale. Il m’invite au cinéma. Je m'esquive.

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