Chez Puri, le petit déjeuner est étrange. Les tortillas sont bleues.
La maison de Puri est à l’image de toutes les maisons de El Pozo. Enorme, inachevée. Des affaires en boule, des papiers entassés, des fils qui pendent, un frigo gigantesque sans rien dedans. Pas de rideau, pas de savon, la douche froide coule grâce à une chaussette, mais les poignées de porte, certains bouts de sols et lavabos sont en marbre. La plupart des Hñähñus vivent dans ces espaces déserts et flous saupoudrés de luxe en des recoins imprévus, avec parfois trois 4x4 à bord desquels ils sont revenus, immatriculés Utah, Nevada, Washington, Florida.
10h. J’ai rendez-vous avec Gil et Lupita à l’église protestante, enfouie dans le village.
Ici rien n’est indiqué. J’essaye de lier conversation avec les villageois. Mais ils sont encore plus méfiants que ceux qui font leur service social. Ils m’indiquent où se trouve l’église, à chaque fois différemment, me disent que je peux aller chez la mariée, voir comment elle se prépare. Je n’ai pas très envie de me retrouver encore avec des yeux braqués sur moi comme des flingues. Je stationne un temps sur le perron de l'épicerie. Je joue avec une petite fille, vite rappelée par son père quand il voit la grande blanche qui s'amuse avec elle.
10h30. J’attends encore, devant l’église cette fois. J'essaye de me rendre invisible. La poussière s'infiltre. J’ai la nausée. Gil et Lupita arrivent en voiture, plus frais que moi.
11h. Me voilà au cœur d’un mariage protestant, criard, infini. Chaleur angoissante. De ma vie je ne suis jamais restée aussi longtemps dans une église. Entre fictions moralistes et paraboles, le prêtre sermonne, avec, en fond sonore, un petit orchestre insupportable mené par Mariano, l’Apache de la caminata, ici chanteur, accordéoniste et harmoniste. J'ai mal partout.
12H30. Les mariés arrivent enfin.
Deux heure plus tard, je suis achevée. Les premiers étonnements me paraissent bien loin. Envie de rien, d'absolument rien.
13h. Déjeuner de mariage. Musique assourdissante, joie absente. Immenses tablées. Les gens ne dansent pas, ne bougent pas, ne parlent pas non plus tant la musique braille. Ils mangent. Sans s'arrêter. Les deux femmes ridées et édentées assises en face de moi, situées à l'extrémité de leur vie, mangent comme des porcs. Elles rangent soigneusement les restes dans leurs poches, réinventent le Tupperware avec des tortillas. Je n'ai plus d'appétit. Elles prennent mon repas.
Le marié part demain aux E.U. Tout le monde fait la queue pour lui donner des sous.
16h. Migraine.
Je traine au grand canyon, je filme mollement les touristes qui braillent en faisant de la tyrolienne. Plus de cassette. Je croise Leti, la sœur de Silvia derrière un stand de bijoux en coquilles de pistaches. Elle me raconte sa vie alors que je n’attends plus rien. Elle a fait la caminata samedi dernier avec moi, dit en riant que ça n’a aucun rapport avec la réalité. Elle a traversé deux fois la frontière. Elle veut bien que je vienne la filmer dans la semaine.
19h. J’attends la caminata, épuisée.
Je croise la fille de Martinita, Marlen, qui joue la guide criarde. On se donne rendez-vous demain à la piscine. Tout me gratte. J’attends encore. Et puis rien. La caminata est annulée. On me dit qu'il y a trop peu de participants, mais je soupçonne le délégué d'avoir annulé pour pouvoir manger du poulet au mariage.
20h. Nuit.
Je rentre chez Puri pleine d’allergie. Je suis seule dans l’énorme maison. Je regarde Trois Enterrements dans mon petit ordinateur, sous les yeux de Jésus et de sa brebis lassée.
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