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Liserde au Mexique #13 - Ni anthropologue ni journaliste

Dimanche matin, El Pozo.

Derrière ma fenêtre, grand soleil, affreux dindons. Sous l’eau gelée de la douche, je me dis sans conviction que la journée va être bien pleine. Après les restes du mariage (poulet macéré) en guise de petit déjeuner, je pars avec Puri. J’ai rendez-vous avec Mariano.


Le pick-up se gare du côté de la piscine. J’attends, caméra collée à la main.

Max m’accorde quelques mots publicitaires. La caméra l’intimide. Il est mal à l’aise, et moi aussi. Mariano arrive, très nerveux. Il veut que Puri nous accompagne jusqu'à la cabane de l'Apache, mais elle est en plein travail, elle est gênée. Je suis gênée. Il a peur de se retrouver seul avec moi, peur des rumeurs, je suis à deux doigts d’annuler. Il finit par m’emmener en voiture, chope un môme sur la route.


On arrive près de la cabane où apparait l’Apache dans la caminata. Là, sans ciller, dans un espagnol rudimentaire et sur le ton le plus monocorde du monde, il me tient un discours hilarant. Je suis bien trop fataliste, bien trop submergée par sa propre gêne pour m’en rendre compte.


Bien sûr que j’ai rencontré un Apache près de la frontière, et il m’a guidé. Ils sont sympathiques les Apaches, très… et ça c'est une cabane typique!


Son malaise l’emporte. Je n’arrive plus à lui poser de questions. Je ne sais pas tenir cette position du journaliste qui interviewe, position dans laquelle il me cloisonne, raide devant sa fausse cabane, inexpressif, guindé.


Après ça, je traine, terriblement déçue. Je vais voir Martinita qui me parle encore du délégué. Entre deux ce soir je vais le voir elle m’annonce que sa fille, Marlen, n’est pas libre avant trois heures (on avait rendez-vous à midi). Tout m’emmerde. Ils travaillent tous, tout le temps, et ce jour-là ça m’emmerde. Je décide d’aller faire la sieste, rien de bon ne peut sortir de cet état. Il me faut, comme toujours, une demi-heure pour aller à pieds d’un endroit à un autre. Ca aussi ça m’emmerde.

Après une lourde sieste dans les bras de Jésus, je retourne à la piscine.

Je mange un peu de poulet. Et puis, comme il est trois heures, j’attends Marlen. Au bout de vingt minutes Martinita m’annonce qu’elle vient de partir pour le canyon. Je demande à Puri si une voiture s’apprête à partir pour le canyon (une heure trente à pieds). J’attends. Mon état d’impatience dégoutée complique les rapports, évidemment. Don Pablito m’accorde une « interview ». Il cherche une belle lumière, une belle pause, et il parle. Encore une pub. Quand j’éteins la caméra, il se décontracte. Dans quoi je me suis lancée? Finalement il n’y a rien à dire, rien à faire de plus que laisser ces gens tranquilles.

Rigoberto m’emmène au canyon.

Il a 27 ans, il est célibataire, son pick-up est énorme. Il me raconte ses passages de frontière, son rôle de flic dans la caminata, son prochain départ pour les EU. La caméra est débranchée. Quand je lui demande de le filmer, il est soudain très sec. On l’a chargé de m’accompagner, un point c’est tout.

Au canyon j’aperçois Marlen sur le point de repartir.

Elle dit être à ma disposition. Marlen est étudiante en communication, ça se voit. Elle sait parler et croit savoir ce que je veux entendre, ce que je veux voir. Elle trouve très normal que je la filme avec sa cagoule. Pub.

La caminata c’est un bol d’air, c’est se promener dans la nature, la vraie… J'adore ça! Je le fais pour le plaisir...


Je sais qu’elle fait le service de son père en complément de Martinita. Je sais qu’il a un travail à Las Vegas, et peut-être même une maîtresse et une autre famille. Mais je fais semblant d’être ravie, elle fait semblant d’être aimable, quitte le canyon, me propose de partir avec elle, je décline.


Le soleil se couche peu à peu derrière les rochers, il est presque 17h.

Don Carlo s’approche en chemise "chic", me susurre qu’il est libre pour une interview. Il décide du décor, s’assoit dans une barque. Cerise sur ce dimanche publicitaire, il me vante les attraits du parc un à un. J’essaye de poser des questions un peu personnelles, il dévie, nous dérivons.


Lupita m’avait raconté qu'aucun membre de cette communauté n'était mort à la frontière, sauf le frère de Don Carlo, le mois dernier. Je ne veux pas spécialement lui faire raconter ça, et en même temps je voudrais des histoires personnelles... Le gros cliché de journaliste à l’affut du drame pèse sur moi. Désagréable (atroce). J’essaye de lui faire parler de sa famille, que je sais être une des plus riches et des plus entreprenantes du village. "Vous êtes à l’origine de beaucoup de bâtiments ici, non ?" Soudain, il devient sec, tranchant, effrayant : qui t’a dit ça ? Tremblante : "je ne sais plus...". Oui. C’est vrai. Et il change de sujet. La vie ici est dure, très dure, tu sais… et nous sommes des travailleurs. Sans travail, on n'a rien. Comme tous les autres, c’est dans son silence qu'il s'exprime le plus, mais il est toujours en action, jamais silencieux, et encore moins devant la caméra.

Pour finir, je me fais raccompagner au balneario par un vieil homme suintant dans son pick-up dégueulasse.

Baignée dans cette lumière extraordinaire qu’ils ont ici entre chien et loup, je rentre à pieds chez Puri. J’ai un besoin énorme de parler normalement avec quelqu’un, de parler d’autre chose que de frontière. Je décide de pleurer. Alors je regarde Sur la route Madison que j’avais emporté, certaine qu’un soir j'aurais besoin de pleurer.

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