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Liserde au Mexique #16 - Tout est retourné

Ixmiquilpan, avant le départ.

J'étais partie avec, en tête, un interêt pour les touristes qui font la caminata. Je repars avec mon projet bousculé, retourné comme un gant.


Ces villageois, leurs doubles discours, leurs exagérations, leur acharnement, voilà ce que je voudrais montrer. Mais comment ne pas me perdre ? Comment ne pas me laisser manger par le sujet, par ces gens qui me montrent des miroirs d’eux mêmes tantôt déformants, tantôt sincères, toujours flous ? Les habitants de El Pozo ont vu passer beaucoup de caméras et de journalistes à l'affut de sensations fortes. L'Etat menace d'interdire la caminata, qui devient trop célèbre, prétextant qu'il y voit là une défiance. Les Hñähñus sont donc, malgré eux, emmêlés dans un noeud de représentations, se jouant des images qu'ils renvoient sans jamais tout à fait les contredire, mettant en garde contre les idées reçues mais s'appuyant sur elles à des fins publicitaires... Alors forcément, ils ne sont jamais satisfaits de la façon dont on les dépeint.


Et puis tout se mélange avec la mode de l'éco-tourisme. Le passage de frontière est présenté comme un « sport extrême », que seuls les forts peuvent endurer. Mais tout le monde part, sans entrainement, les vulnérables, les femmes enceintes, les enfants. Lupita m'apprend à n'être pas dupe. Elle m’a donné par exemple la signification que Poncho, premier acteur-coyote donne de la cagoule, en écho aux révolutionnaires zapatistes. Jacinto, lui, m’a dit hier que la cagoule symbolise le fait que les coyotes sont inconnus, ce qui est faux. Fortunato - qui remplace Poncho dans la caminata actuelle - est un ancien coyote. Ils connaissent toujours leurs guides.


J'ai découvert la complexité. La caminata, contrairement, je crois, aux autres formes de tourisme-fiction-frisson, est totalement ancrée dans une communauté d’hommes et de femmes, dans une culture mixée. C’est sur ce point précis que tous les reportages que j'ai vu en préparant le film sont erronés. La caminata ne peut exister seule, ne peut s’envisager sans rien autour, comme une énième preuve de la folie de notre monde. Elle révèle une conception du monde, du groupe, une façon d’exister.


Je me souviens des Maîtres fous, de Jean Rouch. Derrière, dessous ces représentations démesurées, il y avait quelque chose que les blancs, fascinés par leurs propres fantasmes confirmés, ne voyaient pas, ne pouvaient pas percevoir, quelque chose de sacré. La caminata et le contact avec les habitants du village me font revenir à ça, constamment. A ce qu'ils croient que je veux leur prendre.


Je repars donc, aussi, avec cette sensation désagréable d'avoir été une étrangère. Une sensation qui retourne la tête.


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