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Liserde au Mexique #4 - Autres mondes

Ixmiquilpan

Lupita me montre un reportage historico-publicitaire sur El Pozo, fiction épique sur les Hñähñus, peuple fier depuis l'aube des aubes qui ne s'est jamais plié ni aux Aztèques ni aux Espagnols, sur fond de cumbia lourdingue.

Parenthèse.

Le Mexique compte un grand nombre d’ethnies, dont celles issues des Otomis. Les Hñähñus en font partie. Ils parlent une langue de la famille uto-aztèque, comme celle de bon nombre d'indigènes du nord du Mexique et du sud des Etats-Unis. Hñähñu, selon certains, signifie celui qui parle du nez, mais rien n'est moins sûr.

Les Hñähñus de El Pozo forment une communauté régie par des lois propres. Il y a dix ans, le village vivait dans la misère. Il n'y avait pas de route, les vieux folklores avaient été perdus, et on raconte que les habitants déambulaient en guenilles. Peu à peu, ils ont l'idée de développer une offre touristique liée à la nature. Selon certains, tout à commencé quand ils ont trouvé une source d’eau thermale, d’autres justifient cette impulsion par l'intelligence des villageois, d’autres encore par l’arrivée d’une poignée d’étudiants en éco-tourisme venus réveiller, comme beaucoup d'autres dans le pays alors démocrate, les cultures perdues. Ils ont, un temps, été appuyés par les politiques dites neo-indigénistes de V.Fox et de sa ministre Xochilte Galvez. D’idée en idée, de savoir-faire en questionnements, ils ont inventé la caminata Nocturna, cette étonnante ballade.

Ils migrent, de façon saisonnière ou - plus rarement - définitive, aux E.U. C'est ainsi, disent-ils, depuis toujours. Là-bas, à Las Vegas, Phoenix, Los Angeles, ils reproduisent les coutumes de la communauté, gagnent beaucoup d'argent pour pouvoir reposer ici leurs vieux os. Ces hommes sont des entrepreneurs. Ils vendent, ils construisent, ils épargnent. Au cas où on les expulserait des E.U. Tout l’argent vient de là-bas. Sans la migration, pas de route, pas de chaussée, pas de piscine… Ils ont tous des armes aussi, au cas où. Ici, on assure ses arrières, sa vieillesse, ses enfants, sa famille. Et on ne se mélange pas. Ils travaillent tout le temps. Certains me disent qu’ils ne dorment même pas. Là, même moi je sais qu’ils exagèrent.

Au nombre de 1500, ils font à peu près tous partie d’une même famille dans laquelle sévissent trois cultes : protestant, catholique, évangélique. Lupita m’explique que les trois obédiences ne peuvent pas se saquer, ce qui entraine toutes sortes de conflits, et notamment dans la préparation de la caminata. Il y a des tas de petites guerres, malgré l’harmonie affichée et revendiquée.


Première leçon : ne jamais chercher, ici, la clarté. Tout est brouillé.

Midi. Ixmiquilpan.

Quesadillas de frijoles y nopales (con chile, bien sûr). Feu dans la bouche.


15h. Gare de combis (minibus)

Discutions avec Lupita. Pour elle aussi, la caminata n’est pas un phénomène circonscrit à ce petit village. "Dans la région, nous sommes des experts de la fiction" me dit-elle.


16h. Départ.

La vieille combi crapahute sur les chemins. Une femme nous parle, beaucoup, beaucoup trop.

16h30. Balneario de El Pozo.

Tracteurs, bétonneuses, poussière. Le village se prépare pour la la Semaine Sainte et son lot de touristes. Lupita me présente les gens. Je serre les mains de ces petits hommes qui me font sentir trop grande. Ils me posent tous les mêmes questions:


"On gagne bien sa vie en France? Combien coûte le voyage? Tu es mariée? Combien d’enfants tu as? Et pourquoi tu n’as pas d’enfants?". Je me sens obligée de répondre très sincèrement, même si je sais tout de suite qu’il faut que je m’invente un fiancé.

17h. Don Ernesto, le président du balnéario, nous emmène au Grand Canyon dans son 4x4 géant. Il vit à Miami, parle peu. Petit, gonflé, il a 34 ans, en paraît 50.


17h10. Grand Canyon.

Le site est gigantesque. Les hommes y installent plusieurs tyroliennes, projettent de construire un énorme pont branlant. Les chefs stationnent en rang d'oignon avec leurs chapeaux de cow-boy en plastique, autour de Maribel, la secrétaire aux talons hauts. Les uns après les autres, ils viennent me rencontrer. J'ai l'impression d'être une attraction. Ils paraissent très doux, parlent tout bas sans jamais regarder dans les yeux. Nous rencontrons Seba, le délégué, yeux invisibles, sourire contrit. Il ouvre peu la bouche, n’est pas à l’aise en castillan. Lupita me présente, "c'est une artiste". Il répond par un long discours monocorde sur les artistes, qui voient tout par le filtre de l’art. Et soudain, ses yeux s'ouvrent, il me parle de Notre-Dame dont il a fait une visite virtuelle sur Internet puis, sans transition, nous invite à un diner dans le village.


19h. Catapultées.

Maison collée à l'église évangélique où l’office est chanté à tue-tête. Dehors, au milieu des parpaings en vrac et des tentures en toile cirée fleurie, un groupe de femmes cuit des tortillas par centaines, des fleurs d'agave, grillent des insectes qu'elles pilent avec du piment, pèlent des patates. Il y aura une fête ce soir, à laquelle nous ne sommes pas conviées. Odeurs d’huile, de maïs, de grillade, poules qui vagabondent. Je suis dans un cliché des campagnes mexicaines. J'urine dans les WC de l’église. Je jette un oeil, maintenant ils dansent. Les femmes me regardent de travers. Trop grande, trop grande, beaucoup trop blanche. Les hommes s'en vont, d'autres arrivent, se relaient pour s'assoir autour de la petite table ronde. Je serre des mains par dizaines. Lupita et moi, assises, sommes des exceptions. Les femmes ne s'assoient jamais, préparent et servent des plats, des sauces pour agrémenter le poulet (ici, on ne mange que du poulet). Seba me demande de tout gouter, sans exception. Je m'exécute. De toutes façons je ne sens plus ma bouche depuis longtemps. Une femme s'approche de Lupita, lui parle de son amour pour Dieu en pleurant.

20h. Seba nous raccompagne à Ixmiquilpan en voiture. Il parle sans discontinuer, compare la communauté à une étoile, appelle Lupita "Docteur".


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