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Liserde au Mexique #9 - Te gustan más los güeros o los mexicanos ?

Midi, Ixmiquilpan.

Je m’habitue peu à peu à ce climat semi-désertique, à cette poussière qui soulève tout, mais pas vraiment aux regards. Je décide que les gens seraient attirés par autre chose que ma taille et ma pigmentation. J'achète un large chapeau de paille et j'y couds un ruban rouge pour l’empêcher de s’envoler. Maintenant je suis non seulement "gringa" mais "gringa rara". Voilà.


Nous arrivons, Lupita et moi, à El Pozo vers 13h.

Elle part interviewer quelques instituteurs. De mon côté, à la piscine, je croise Puri. J’aime bien sa tête dodue et son sourire lumineux. Je lui demande si je peux accepter son invitation et rester chez elle quelques jours. Bien entendu! Je sens un peu de gêne, sans savoir comment la rassurer. Je change de sujet, lui parle de la caminata, elle mentionne Poncho, que tout le monde regrette ici. Depuis que c’est Fortunato qui a pris en main la caminata, il n’y a plus autant d’adrénaline, dit-elle.


Trois paquets de chips plus tard, je croise José, le sous-délégué, avec son style de cow-boy propre, chapeau en plastique bien enfoncé, Ray-Ban collées, polo impeccable. De sa voix nasillarde et monotone, il m’invite au "resto" du village où cuisine Doña Lupe, une des rares femmes maigres.


Je ne sais pas ce que je mange, c’est vert, excellent, piquant, sabroso. José me pose les questions d'usage. Les mensonges bien cousus lui répondent, je suis fiancée et je vais bientôt avoir des enfants. Il vit seul ici, sa femme et ses six enfants sont à Phoenix où il repartira en janvier, illégalement. Même pour moi ça commence à être banal. Pendant que je m'emploie à griller ma gorge avec cette sauce impitoyable, il improvise une drague inédite. Il m’explique qu’il aime se faire des amis, qu’il a même une amie totalmente gringa à Phoenix, prénommée Melissa. Petit silence où il guette ma réaction, je me ressers une tortilla. Il lui apprend l’espagnol, elle lui apprend l’anglais... Elle est gentille. Il répète son prénom. Je mange pour ne pas rire. Il enchaine sur son métier, me le prononce en anglais, plusieurs fois là encore, pour me montrer son (très mauvais) accent: I am supervisor. Malheureusement pour lui, après avoir englouti ce plat sportif, je reviens aux questions qui le rendent triste. Il répond à contre-coeur. Il a dû tout laisser tomber pour faire son année de service social, et sa famille lui manque... Dans la caminata, il joue un officier de la migra. Je lui demande si à la prochaine caminata je pourrai les filmer dans les pick-up. Pas de problème. Il me donne son numéro de téléphone, si j’ai besoin de quoi que ce soit je dois l’appeler. Je lui dis que je viendrai le filmer un de ces jours. Combien tu me payes ? Sa blague le fait rire abondamment, lui qui ne sort jamais de sa réserve, je fais semblant de rire aussi. Cet homme a envie de s’amuser, ou plutôt a envie que je l’amuse, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.


Nous sortons du restaurant. Sous un soleil de plus en plus dru, les hommes travaillent sur la chaussée, encore. Je les regarde. Tous ces petits hommes loin de leurs femmes... Je commence à sentir, diffus, le désir qui peuple ces chemins secs.

José me présente Max, un homme sale, édenté, curieux, différent, qui parle un castillan sans accroc en regardant dans les yeux. Il vit dans une maison collée à la piscine avec sa femme et son fils. Il devine tout de suite que je suis Européenne et non gringa, sans même que j’ouvre la bouche. C’est peut-être le ruban. Max fait partie de ceux qui inventèrent caminata. Il me raconte comment l’idée est née (chercher une attraction touristique… et vendre la seule chose qu’ils savaient faire: migrer) et comment une poignée d'hommes ont préparé la première caminata, dans le noir, en parcourant la montagne. Il m'explique que la plupart des membres de la communauté, au début, les prenaient pour des fous. Aujourd'hui, il a arrêté de traverser la frontière, faute d’argent. On reconnait facilement ceux qui ne traversent plus. Ils sont moins soignés, moins vifs.


Je décide d'aller me promener. Je dois me focaliser sur les gens qui ont un rôle dans la caminata, sans oublier que c’est difficile d’atteindre son but ici, quand on en a un. C’est un peu comme aller aux puces avec un achat précis en tête. Je reste un moment près de l’église, je parcours les lieux de la caminata que je reconnais. J'observe les maisons du village, et parmi elles ces grandes demeures à jamais en construction. Près du cimetière, il y en a une énorme. Comme une maison de Miami qui voudrait bien ressembler à une maison de Provence, elle est entourée de cyprès. On pourrait croire, de loin, que ce bubon sorti d’une poignée de poussière jetée entre les chemins bossus, est achevé. Mais il suffit de s’approcher pour comprendre que ceux qui font illusion sont les moins bien lotis. Des bouts de fer jaillissent d’un puits qu’on a commencé à construire, le linge sèche à vue près des troupeaux de poules et de dindons qui picorent la terre jaune. Les gens, comme leurs maisons, sont des frontières. Ils s'ouvrent ou se ferment selon la personne qu'ils reçoivent. Je crois que c'est le cas dans tout le pays. Le rapport à la propriété y est singulier et les maisons sont en mouvement, ouvertes, prêtes à s'agrandir, construites dans des matériaux fragiles et par conséquent vulnérables.

Au cours de ma promenade, je croise Lupita. Nous attendons la combi. Le délégué débarque au volant de sa voiture chargée de Silvia, Don Carlo, Nacho. On s'y entasse. Don Carlo fait des blagues salaces et me pose la question du jour: Tu préfères les blancs ou les Mexicains? Petit silence mouillé, les oreilles se tendent. Je lui demande de me laisser deux jours pour réfléchir, tout le monde éclate de rire. Don Carlo approfondit, sucré. Il aime bien las grandotas (les grandes perches) pour qu’elles le frappent…

Quand ils nous déposent, Lupita est hilare. Elle racontera cette histoire le soir même à toutes ses sœurs, me voilà célèbre dans la vallée.

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