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Liserde au Mexique #3 - Clichés

Me voilà à Ixmiquilpan, dans l’Etat d’Hidalgo, ville proche de El Pozo.

Je suis accueillie par Lupita, une jeune sociologue qui m’a aidé à préparer ce voyage. Issue d'un village voisin de El Pozo, étudiante en Allemagne, elle fait sa thèse sur l’immigration dans la vallée. Je n’ai communiqué avec elle que par mail, et le hasard de cette rencontre m'épate encore. En travaillant sur le projet, j'avais envoyé, sans trop y croire, un mail à tous mes contacts (qui n'étaient pas si nombreux), bouteille à la mer dans le cas où quelqu'un connaitrait quelqu'un qui connait ce village perdu... Elle m'avait répondu, et, très naturellement, m'avait proposé son appui. Entre nous, il doit y avoir deux ou trois personnes, mais qui ? Je ne l'ai jamais su.


En achetant mon billet d’autobus à Mexico D.F, on m'annonce qu’il faut deux heures pour se rendre à Ixmiquilpan. Quatre heures après, le bus arrive dans une station-essence rouillée au milieu d'un désert parsemé de cactus. Tout est silencieux. J'attends à côté d'une vieille dame qui m'offre des graines. Il est possible que personne ne se pointe. Bizarrement, je n'ai pas peur.

Deux heures plus tard, Lupita arrive en bagnole avec Gil, son époux, et Fridita, leur fille. "Désolés pour le retard, la petite avait mal au ventre". On va à El Pozo car "la petite veut prendre un bain". Le paysage est ponctué de montagnes sèches. Je pense aux westerns, au Mexique d’Epinal. Maisons inachevées, poules, dindons, cactus, poussière, musique, couleurs vives, jus d’orange, sombreros, tortillas, misère.


El Pozo est situé dans une vallée verdoyante où coule une rivière. Deux sites sont destinés aux touristes: une piscine bordée d’un terrain de camping et, plus loin, le Grand Canyon, avec ses tyroliennes et activités d'eau.


Pendant que Fridita et Gil se baignent dans la piscine, Lupita me raconte que les habitants de El Pozo sont des migrants "par nature". La plupart d’entre eux, natifs du village, vivent aussi aux Etats-Unis. La loi de leur communauté les oblige à revenir ici tous les 8 ans pour accomplir un service social d'un an : construction, animation, services aux touristes, artisanat... Détail important: presque aucun d’entre eux n’a de papiers d’identité, ni de visa, encore moins de passeport.

Lupita salue plusieurs villageois qui travaillent à la construction d’une chaussée. Elle leur parle en hñähñu, sa langue natale (toute sa famille habite dans un village voisin). Je sens le poids des yeux sur moi comme jamais dans ma vie. Trop blanche, trop grande, je ne peux être qu’une gringa. Ils se méfient. Il me faut rencontrer le délégué de la communauté, qui sera mon passe-droit. J’ai de la chance, me dit Lupita. Les autres délégués étaient cons, celui de cette année est très ouvert. Nous croisons José, le sous-délégué. Il nous apprend, solennel, que le délégué effectue une "mission délicate". Lupita traduit : José n’a pas envie de nous dire où il est. Nous reviendrons demain.


La petite a pris son bain, mangé ses chips, sa glace, bien dégueulassé son pantalon. Le soleil se couche sur le village éclairé par la lune, nous sommes presque dans un film, déjà. Ixmiquilpan est une grande ville bruyante qui s'étend autour d'un énorme couvent.


Dans la maison, rien n'est posé. Ce n'est pas chez eux. Ils repartent bientôt à Bielefeld, en Allemagne, où se trouve leur université. Gil, sociologue lui aussi, est issu d'une famille Brésilienne. Fridita, quatre ans, reine et centre du foyer, balbutie toutes les langues.

L'ambiance me semble étrange, je fais de mon mieux pour la trouver normale, connaissant ma lisibilité. Repas de salamis et café au lait, langueur et réflexions érudites mêlées à une nonchalance molle. Fridita donne des ordres, supporte peu qu'on l'ignore, regarde des dessins animés allemands en faisant semblant de manger. Pour une raison que j'ignore, Lupita et Gil, adorables, me questionnent sur Jean-Luc Godard. Dans un coin du salon, on entend parfois rire les deux cousins ados, patauds, qui crèchent là parce qu'il y a internet, scotchés à leurs PC d'où s'échappent des rythmes de cumbias mexicaines. J'apprends qu'ils préparent médecine.

C'est dans un fouillis intérieur que je vais me coucher, sans bien comprendre ce qui m'arrive, ni où je suis. Rien ne ressemble à rien. Les clichés ont disparu.




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